Mercredi 31 Octobre 2018
Par Yoann DELHAYE, Avocat au Barreau de Bordeaux
La clause d’un bail commercial obligeant le commerçant locataire à adhérer à une association de commerçants est nulle
Par un arrêt rendu le 11 octobre 2018, la Cour de cassation rappelle qu’un bail commercial ne peut forcer un commerçant locataire à adhérer à une association de commerçants (ou tout autre groupement autrement constitué, sous forme de GIE par exemple), ni à mettre d’éventuels obstacles au retrait de l’association ou du groupement.
Cette décision (à retrouver en intégralité ici), n’est pas novatrice. Tant la Convention Européenne des Droits de l’Homme en son article, que la jurisprudence de la Cour de cassation, ont d’ores et déjà établi le principe de liberté d’adhérer à une association – et son corollaire, la liberté de ne pas adhérer ou de quitter le groupement (Voir par exemple Cass. Civ. 3ème, 12 juin 2003).
Mais la présente affaire ayant donné lieu à cet arrêt sont assez intéressantes pour s’y plonger plus en avant.
Il s’agissait en réalité pour la société bailleresse, exploitant un centre commercial, d’insérer une clause d’adhésion obligatoire dans le contrat de bail afin que la société locataire, exploitant son commerce au sein du centre commercial, prenne en charge un certain nombre de frais de fonctionnement sous forme de cotisations.
Or, c’est l’association, et non la bailleresse, qui jouissait de la perception desdites cotisations, qui servaient à financer les frais de promotion et d’animation du centre commercial.
Pour verrouiller le mécanisme et s’assurer que la société preneuse à bail s’acquitte de ses cotisations – dont elle percevait une contrepartie certaine du fait de la renommée du centre du fait de son activité de restauration – une clause rendait obligatoire le versement de la cotisation même en cas de retrait du groupement.
La situation était cependant pour le moins originale sur le plan juridique, puisque la société preneuse devait en ce cas verser une cotisation à une association, dont elle avait décidé de ne plus être membre ...
Et c’est justement ce qui a posé difficulté : la société locataire se retirait de l’association de commerçants et cessait en conséquence le versement d’une quelconque cotisation.
C’est pourquoi l’association introduisait une action en justice à l’encontre de la société preneuse, afin de l’obliger à payer les cotisations appelées pour les frais de publicité et actions commerciales communes à l’ensemble des commerçants du centre.
La Cour de cassation répond en deux temps :
- D’une part, elle rappelle que la société preneuse s’est engagée, en vertu des stipulations du contrat de bail commercial, à adhérer à l’association, et non pas à payer une cotisation annuelle d’un montant déterminé ou déterminable. Ainsi, en l’absence d’adhésion à l’association, aucune cotisation ne saurait être appelée en ce qu’elle constitue la contrepartie de l’adhésion, et non le bénéfice d’un quelconque service rendu ;
- D’autre part, que les dispositions de l’article L. 442-6 du Code de commerce, relatives à la rupture brutale de relations commerciales établies, ne sauraient s’appliquer aux rapports entretenus entre une association de commerçants et un commerçant ancien adhérent.
La solution rendue par la Cour peut sembler sévère pour l’association, mais s’avère logique sur le plan juridique, s’appuyant sur la nature même de la cotisation appelée, qui ne peut recevoir application et donc exécution forcée qu’entre une association et un adhérent.
Dès lors qu’une entité bénéficie de la liberté d’adhérer ou non à une association de commerçants, celle-ci bénéficie également du droit de s’acquitter ou non de la cotisation appelée par l’association.
L’oeil de l’avocat :
Il semblerait que l’association – et donc la bailleresse, qui ne peut qu’être intéressée par les actions du groupement du fait de la situation – n’ait pas été très avisée de faire stipuler une telle clause dans le contrat de bail, laquelle serait nécessairement sanctionnée d’une nullité absolue du fait d’une position constante des juridictions nationales et européennes.
Pourquoi alors s’embarrasser d’un montage plus qu’aléatoire faisant intervenir une association de commerçants, dont l’adhésion est aujourd’hui plus qu’encadrée notamment dans la situation de commerces intégrés ?
Le bailleur pouvait simplement prévoir de prélever une charge supplémentaire sur l’ensemble de ses locataires pour financer les frais de publicité et les actions menées dans le centre et bénéficiant à tous les commerçants.
C’est ce qu’on appelle aujourd’hui le « fonds marketing », qui constitue une sorte de mise en commun de moyens publicitaires entre des commerçants profitant tous de la publicité et des actions générées : cette pratique est très répandue dans les centres commerciaux.
Attention cependant, puisque le montant des charges appelées peut-être discuté par les locataires commerciaux, notamment si elles ne correspondent pas aux dépenses réellement supportées par le bailleur.
Cette technique peut alors générer d’autres contentieux en cas de divergence de stratégies commerciales entre les bailleurs et chacun des locataires commerciaux, ou encore en cas d’absence de résultats des actions entreprises … pouvant éventuellement conduire à une action en responsabilité à l’encontre du bailleur !
En tout état de cause, si le bailleur souhaite offrir des services complémentaires à ses locataires commerciaux, encore faut-il border le contrat de bail et ne pas partir dans des montages plus qu’hasardeux ...
Erreur de parcours ou nouveau coup porté au développement des hypermarchés ? L’avenir nous le dira ...