Par un arrêt rendu le 23 octobre 2019, la Chambre commerciale de la Cour de cassation indique expressément que le gérant d’une Société Civile Immobilière familiale doit rendre compte de sa gestion à l’issue de chaque exercice social, quand bien même ses associés (et membres de sa famille), n’en feraient pas la demande.
Les faits ayant donné lieu à cette décision sont extrêmement simples et tout à fait courants.
Un couple constitue, avec ses enfants, une Société Civile Immobilière dont Monsieur occupe les fonctions de gérant.
La société détient le patrimoine immobilier du foyer, et notamment un chalet qui sera vendu plusieurs années la constitution de la société.
Or, à l’occasion de cette vente, l’administration fiscale reproche à la SCI d’avoir déduit un montant trop important de dépenses de travaux afin de diminuer la plus-value : un redressement fiscal lui est alors notifié.
Le couple divorce et Madame, soutenue par les enfants également associés, sollicite la révocation de Monsieur de ses fonctions de gérant de la société, notamment sur le fait qu’il n’ait jamais rendu compte de sa gestion à ses associés – également membres de sa famille donc ...
Pour se défendre, Monsieur indique que ses associés ne lui ont jamais demandé de rendre compte de cette gestion, et que le caractère familial de cette société permettait un dialogue quasi-quotidien sur les affaires courantes de la société et du patrimoine détenu par le couple.
La Cour d’appel saisie du dossier se montre sensible aux arguments du gérant et déboute les associés de leur demande en révocation du fait de l’absence de manquement du gérant.
La Cour de cassation censure cet arrêt, estimant que :
« Qu'en se déterminant par de tels motifs, impropres à exonérer, peu important le caractère familial de la société et l'absence de demande de rapport émanant des associés, le gérant de l'obligation résultant du second texte visé et des statuts de la SCI de rendre compte de sa gestion aux associés au moins une fois dans l'année et, en conséquence, à exclure l'existence d'une cause légitime de révocation, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision »
En d’autres termes, la Haute juridiction fait prévaloir l’application du régime juridique de la société civile sur les caractéristiques familiales de cette dernière.
En effet, l’article 1856 du Code civil prévoit que : « Les gérants doivent, au moins une fois dans l'année, rendre compte de leur gestion aux associés. Cette reddition de compte doit comporter un rapport écrit d'ensemble sur l'activité de la société au cours de l'année ou de l'exercice écoulé comportant l'indication des bénéfices réalisés ou prévisibles et des pertes encourues ou prévues. »
En cas de manquement, il s‘agit-là d’une faute de gestion du gérant qui peut être sanctionnée par sa révocation notamment.
Or, il était fréquent que le gérant soumis à une telle situation se défendait en faisant valoir la passivité des associés, qui n’ont jamais cherché à provoquer la communication d’un tel compte-rendu de gestion.
La Cour de cassation coupe court au débat : le gérant d’une SCI familiale doit impérativement rendre compte de sa gestion à ses associés membres de sa famille, au risque d’encourir sa révocation.
L’œil de l’avocat :
Cette solution s’avère extrêmement rigoureuse, surtout dans les hypothèses où la SCI est constituée entre membres d’une même famille à des fins patrimoniales ou dans un souci d’optimisation fiscale.
Même dans ces hypothèses où le recours à la structure sociétaire ne reste qu’un « outil », il convient de respecter strictement le régime juridique des sociétés civiles.
Cela n’est pas conséquence pour chacun des acteurs :
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