Les mesures de confinement prises dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire du Coronavirus ont entraîné la fermeture de boutiques, commerces et locaux d’exploitation d’une activité professionnelle.
Par suite, le Gouvernement a adopté un certain nombre d’ordonnances afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la crise que traverse actuellement la France.
Ces ordonnances et textes réglementaires ont pour objet notamment de pallier les difficultés organisationnelles pendant la période d’État d’Urgence Sanitaire décrétée depuis le 12 mars jusqu’au 24 mai 2020.
Ainsi a été établi une période juridiquement protégée, courant ainsi du 12 mars jusqu’au 24 juin 2020 (fin de l’État d’Urgence Sanitaire fixée au 24 mai 2020 + 1 mois), au cours de laquelle un certain nombre de dispositions vont entrainer l’application d’un régime juridique dérogatoire aux normes habituelles.
Sur le plan économique particulièrement, ces dispositions ont pour objectif de limiter les procédures de liquidation touchant les professionnels en tentant de limiter, autant que faire se peut, les situations de cessation des paiements conditionnant l’ouverture des procédures de redressement et de liquidation judiciaire.
C’est dans ce contexte qu’une ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020, relative au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels dont l’activité est directement impactée par la pandémie du Covid-19.
Cette ordonnance a été complétée par un décret n° 2020-378 du 31 mars 2020, précisant les bénéficiaires des mesures prises.
Dans la mesure où le loyer constitue l’un des postes de charge les plus importants des entreprises, il convient de faire un point d’information sur la situation des baux commerciaux et professionnels en cette période inédite.
Seront ainsi traités :
Il faut tout d’abord envisager l’applicabilité des dispositions spécifiquement adoptées relativement à cette crise. À défaut d’application, il conviendra de réfléchir aux mécanismes déjà existants et issus du droit des contrats.
L’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 et le décret n° 2020-378 du 31 mars 2020 ont prévu un mécanisme de suspension des loyers pour les entreprises qui remplissent certaines conditions.
Il convient donc de s’attarder sur le champ d’application de ce dispositif avant d’envisager ses effets.
Il ressort des différentes dispositions que ce dispositif s’applique :
Attention, ces conditions sont cumulatives.
Pour vérifier si vous rentrez dans ces conditions, nous vous conseillez de prendre attache avec le Cabinet et/ou votre expert-comptable pour apprécier votre situation personnelle.
L’article 4 de l’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 vise directement les locaux professionnels et commerciaux.
La généralité de cette formule permet donc d’inclure quasiment tous types de locaux exploités à des fins professionnelles ou commerciales.
La lecture combinée des articles 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 et 4 de l’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 permet d’obtenir le report intégral ou l’étalement du paiement des loyers et charges locatives.
Attention, il ne s’agit donc pas d’une annulation du loyer pendant cette période, ce qu’aucun dispositif spécifique ne permet à l’heure actuelle.
En conséquence de ce report de paiement, les sommes perdent leur caractère exigible pendant la période, ce qui suspend donc toutes pénalités financières, intérêts de retard, astreintes, exécution de la clause résolutoire (voir plus bas) ou toute clause prévoyant une déchéance.
L’absence d’exigibilité des sommes interdit par ailleurs toute mise en œuvre des garanties ou des engagements de caution.
Toutefois, il est constant qu’à défaut de suppression pure et simple de ces sommes, le bailleur pourra être en droit de les réclamer (si elles ne sont pas réglées dans les conditions du report ou de l’étalement) dès lors qu’elles recouvreront leur caractère exigible.
Ainsi, et pour pouvoir bénéficier ce dispositif, il faut faire une demande d’aide au fonds de solidarité et la produire auprès de son bailleur (par courrier recommandé AR, par exploit d’Huissier, ou plus simplement par mail avec une effet probatoire moindre ...) pour justifier avoir accompli la demande et ainsi bénéficier des effets de cette mesure.
De nombreux professionnels du droit se sont interrogés sur l’application de mécanismes du droit commun des contrats pour permettre aux locataires commerciaux et professionnels de reporter ou suspendre tout règlement de loyer et charges pendant cette période de crise sanitaire.
Bien entendu, cette question ne se pose que pour les commerces et activités suspendues pendant la période de crise sanitaire.
Trois mécanismes sont ainsi généralement visés dans cette hypothèse :
Ainsi, l’on peut s’interroger sur le fondement de la force majeure, suivant les dispositions de l’article 1218 du Code civil, permettant au débiteur de suspendre l’accomplissement de ses obligations (ici le paiement du loyer par le locataire) en cas d’empêchement temporaire (l’interdiction de recevoir du public).
De façon tout à fait classique, et pour être qualifié de force majeure, un événement doit être imprévisible dans sa survenance, irrésistible quant à ses effets et extérieur aux parties (bien que ce critère fasse l’objet d’une éventuelle remise en question). En tout état de cause, ces notions peuvent être précisées dans le cadre de certains contrats, si bien qu’il faille analyser au cas par cas les situations. Nous pouvons seulement réfléchir d’un point de vue général.
La lecture des décisions antérieurement rendues s’agissant d’une obligation de paiement des loyers peuvent nous conduire à légitimement nous interroger sur l’applicabilité de la force majeure du fait de la période sanitaire que nous connaissons.
S’agissant du critère d’imprévisibilité, il nous semble que ce critère pourra raisonnablement être retenu en France, du fait des mesures de fermeture de certains commerces et, en règle générale, des mesures de confinement appliquées à la population. En effet, ces mesures étaient tout à fait imprévisibles au moment de la conclusion des différents contrats de bail (pour peu qu’ils étaient signés avant le mois de mars 2020).
En revanche, s’agissant du critère d’irrésistibilité, il nous faut être davantage mesuré. En effet, il faudra démontrer que les mesures prises empêchent directement le paiement des loyers commerciaux ou professionnels.
Ainsi, une activité persistante, même extrêmement ralentie, pourrait écarter ce critère d’irrésistibilité et donc la possible invocation d’un cas de force majeure.
Il pourrait en être de même si le professionnel en question dispose d’une trésorerie suffisante pour assurer quelques mois de loyer.
Et la jurisprudence antérieure n’est pas de nature à rassurer les professionnels sur la question.
Ainsi, la Cour de cassation a été amenée à juger que le non-paiement d’une somme d’argent ne pouvait être excusé par l’invocation d’un cas de force majeure (Cass. Com. 16 septembre 2014, n° 13-20306). Autrement dit, ce fondement ne pourrait être invoqué par un locataire s’agissant du paiement du loyer.
Il a ainsi été jugé par une Cour d’appel que l’épidémie de grippe aviaire et les mesures consécutives de confinement ne constituaient pas de mesures irrésistibles présentant un cas de force majeure exonérant le paiement de loyers (CA Toulouse, 3 octobre 2019, n° 19/01579).
Toutefois, la Cour d’appel de Bourges avait jugé que la survenance d’une épidémie pouvait justifier un défaut de paiement du fait des conséquences irrésistibles sur la situation financière d’un débiteur (CA Bourges, 21 mai 2010, n° 09/01290). Mais cette jurisprudence reste antérieure à l’arrêt rendu par la Cour de cassation en 2014.
En tout état de cause, et si un cas de force majeure est reconnu au profit du locataire, l’obligation de paiement n’est que suspendue et devra donc par la suite être régularisée, dès la disparition de l’évènement irrésistible en question.
Il nous semble donc que cette appréciation reste soumise à un aléa très important et peu sécurisant pour les locataires.
L’exception d’inexécution est un mécanisme contractuel prévu par les articles 1219 et 1220 du Code civil, permettant à une partie de suspendre l’exécution de son obligation si l’autre partie n’exécute pas la sienne, dès lors que cette inexécution est suffisamment grave.
Ainsi, dans l’hypothèse de la fermeture administrative d’un local commercial ou professionnel, le locataire pourrait faire valoir l’absence de délivrance du local par son bailleur, ce qui constitue l’obligation première de ce dernier en vertu des dispositions de l’article 1719 du Code civil.
Or, ce défaut de délivrance n’est pas constitutif d’une faute du bailleur, mais le seul fruit d’une décision administrative. Il ne nous semble donc pas possible d’invoquer ce fondement au bénéfice du locataire, ne pouvant rien reprocher à son bailleur.
Il serait peut-être plus intéressant de se pencher sur les dispositions de l’article 1351 du Code civil, lequel prévoit que « L'impossibilité d'exécuter la prestation libère le débiteur à due concurrence lorsqu'elle procède d'un cas de force majeure et qu'elle est définitive, à moins qu'il n'ait convenu de s'en charger ou qu'il ait été préalablement mis en demeure. »
Ainsi, le locataire commercial voyant son commerce totalement inaccessible du fait de mesures administratives pourrait justifier d’une impossibilité d’exécution le libérant de son obligation de paiement des loyers.
Toutefois cette disposition est soumise à 2 conditions cumulatives : la reconnaissance d’un cas de force majeure et le caractère définitif de l’impossibilité d’exécuter.
S’agissant de la condition relative à la force majeure, celle-ci doit s’apprécier quant à l’impossibilité d’exécuter l’obligation de délivrance du local. Or, la fermeture administrative empêche simplement l’accès du public au local, et non la possibilité d’y pénétrer par le locataire ou ses salariés.
C’est ainsi qu’un certain nombre de restaurants, fermés au public, peuvent toutefois ouvrir leur cuisine en vue de la préparation de plats à emporter.
Ainsi, il nous semble que les critères d’imprévisibilité et d’irrésistibilité ne seront acquis que pour les locaux dont l’accès est tout simplement impossible pour le locataire ou ses salariés.
S’agissant de la condition relative au caractère définitif de l’impossibilité d’exécuter, rappelons-nous que le contrat de bail est un contrat à exécution successive.
Ainsi, il est constant que l’obligation de délivrance du local sera définitivement impossible dès lors que l’accès n’aura été permis sur certaines échéances (notamment celles de la période juridiquement protégé).
Il est donc juridiquement possible pour le locataire d’invoquer cette disposition pour s’exonérer du règlement des loyers dus pendant cette période, pour peu que le local ait été totalement inaccessible (et pas seulement pour la clientèle). Les cas seront donc plus que restreints.
La réforme du droit des contrats par l’ordonnance du 10 février 2016 a introduit un nouvel article 1195 dans le Code civil, permettant une renégociation d’un contrat en cas de changement de circonstances imprévisible.
Cet article n’est toutefois applicable que dans les baux conclus ou renouvelés à compter du 1er octobre 2016.
Dans ces hypothèses, le locataire pourrait demander une renégociation du loyer pendant la période d’État d’Urgence Sanitaire et dans les mois qui suivront (selon les modalités de déconfinement) auprès de son bailleur.
À défaut d’accord, la question pourrait être tranchée par le Tribunal saisi de la difficulté. Le locataire devra alors démontrer que l’exécution du contrat de bail est « excessivement onéreuse », et que sa situation financière ne lui permet pas de poursuivre le paiement du loyer dans des conditions normales.
En tout état de cause, et au-delà de cette disposition spécifique, nous ne pouvons qu’encourager les locataires en difficulté de se rapprocher de leur bailleur pour obtenir un moratoire ou une réduction des loyers échus.
Les éventuels échanges intervenant entre les parties pourront servir dans le cadre d’un contentieux futur pour démontrer la bonne foi de l’intéressé et sa volonté de trouver une solution durant cette période difficile.
Une clause résolutoire et une stipulation contractuelle que l’on retrouve très régulièrement dans les baux commerciaux ou professionnels.
Elle a pour objectif de sanctionner tout manquement expressément prévu par le locataire en permettant au bailleur de procéder automatiquement à la résiliation du contrat.
En matière commerciale, elle s’applique généralement en cas de non-paiement du loyer ou encore de non-exploitation du local commercial.
S’agissant de la procédure applicable, le bailleur doit mandater un Huissier pour faire délivrer un commandement visant l’infraction en question à son locataire. À défaut de réaction de sa part dans le délai indiqué, le bailleur doit saisir le Tribunal Judiciaire dans le cadre d’une action en référé pour faire constater la résiliation du contrat de bail et solliciter l’expulsion de son locataire.
Bien évidemment, il est peu probable qu’un Tribunal fasse droit à une telle demande en cas de non-exploitation d’un local commercial en période de confinement, notamment si celui-ci fait l’objet d’une mesure administrative.
En tout état de cause, le locataire pourra faire valoir une exception de force majeure justifiant de sa prétendue infraction au bail.
La situation est évidemment bien différente s’agissant du non-paiement des loyers, si le locataire commercial ne fait l’objet d’aucune mesure de suspension telles que décrites plus haut (ou n’a pas fait la demande d’aide au fonds de solidarité avant le 30 avril 2020).
Ainsi, le bailleur est parfaitement en droit d’entamer une telle procédure à défaut du paiement de loyer en période juridiquement protégée. Il s’agira surtout de la délivrance d’un commandement de payer les loyers visant la clause résolutoire par le biais d’un Huissier de Justice, puisque les tribunaux ne traitent en priorité que certains dossiers pendant cette période (les dossiers relatifs aux baux commerciaux ne sont en règle générale pas traités).
Attention toutefois, il ressort de l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 que les clauses résolutoires sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effets, si ce délai a expiré pendant la période s’écoulant du 12 mars au 24 juin 2020.
L’alinéa 2 de cet article 4 modifié par l’ordonnance du 15 avril 2020, prévoit désormais notamment que :
« Si le débiteur n'a pas exécuté son obligation, la date à laquelle ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets est reportée d'une durée, calculée après la fin de cette période, égale au temps écoulé entre, d'une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l'obligation est née et, d'autre part, la date à laquelle elle aurait dû être exécutée. »
Pour mieux comprendre ces dispositions, envisageons 3 situations pratiques.
Hypothèse 1 : un commandement de payer les loyers visant la clause résolutoire est signifié par Huissier avant la période de confinement et doit prendre effet (1 mois plus tard) entre le 12 mars et le 24 juin.
Dans cette hypothèse, les effets du commandement de payer, devant survenir normalement 1 mois après la date de signification par Huissier, vont faire l’objet d’une suspension pendant la période juridiquement protégée.
Par exemple, un commandement de payer visant la clause résolutoire est signifié le 28 février 2020. Il devait donc produire ses effets à défaut de régularisation le 28 mars 2020.
Or, par application des dispositions précitées, il faut calculer le délai restant entre le 12 mars et le 28 mars, soit 16 jours.
Ce délai sera donc reporté à compter de la fin de la période protégée, soit après le 24 juin 2020.
Ainsi, le locataire dispose d’un délai supplémentaire pour régulariser sa situation : il pourra payer l’arriéré du loyer jusqu’au vendredi 10 juillet 2020.
À défaut, le bailleur pourra poursuivre son action en résiliation et expulsion en saisissant le Tribunal à compter du lundi 13 juillet 2020.
Hypothèse 2 : un commandement de payer les loyers visant la clause résolutoire est signifié par Huissier pendant la période de confinement mais doit expirer pendant la période protégée, c’est-à-dire avant le 24 juin 2020.
En pratique, ce commandement devra donc avoir été signifié entre le 12 mars et le 24 mai 2020.
Dans cette hypothèse, les effets du commandement de payer, devant normalement survenir 1 mois après la date de signification par Huissier, seront intégralement reportés après la fin de la période protégée, pour produire effets à compter du 25 juillet 2020.
Ainsi, le locataire dispose toujours d’un délai supplémentaire pour régulariser sa situation, en pouvant payer jusqu’au 24 juillet 2020.
Conformément à la situation précédente, ce n’est qu’à compter du lundi 27 juillet 2020 que le bailleur pourra poursuivre son action en expulsion en saisissant le Tribunal.
Hypothèse 3 : un commandement de payer les loyers et charges visant la clause résolutoire est signifié par Huissier pendant la période de confinement mais doit expirer après la fin de la période protégée, c’est-à-dire à compter du 25 juin 2020.
En pratique, ce commandement devra donc avoir été signifié à compter du 25 mai 2020, pour produire ses effets à compter du 25 juin 2020.
Dans cette hypothèse, aucune prorogation ne saurait être applicable au regard des dispositions de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020.
Ainsi, par exemple, un commandement est signifié le 4 juin 2020. Il produira ainsi effet 1 mois plus tard, à défaut de régularisation dans ce délai par le locataire, soit à compter du 5 juillet 2020.
Dans ce cas, le bailleur pourra solliciter la résiliation du bail et l’expulsion de son locataire auprès du Tribunal à compter du lundi 6 juillet suivant (le 5 juillet étant un dimanche).
Ainsi, en pratique, il devient inutile de procéder à la signification de commandements d’avoir à payer les loyers avant le 24 mai 2020 ; il vaut donc mieux attendre quelques jours pour ne pas entrer dans une suspension des délais amenant à reporter les effets de la clause au-delà du 25 juillet 2020.
Cependant, il nous est d’avis qu’un locataire faisant l’objet d’une telle procédure pour non-paiement des loyers n’est pas totalement démuni et peut largement faire valoir certains arguments pour justifier sa situation.
Outre une explication de sa situation personnelle, le locataire commercial peut demander à obtenir la suspension du jeu de la clause résolutoire en sollicitant du Tribunal le bénéfice de larges délais de paiement sur le fondement des dispositions de l’article 1343-5 du Code civil (dans la limite de 2 ans).
Pour appuyer sa demande, le locataire commercial pourra proposer un plan d’échelonnement de sa dette.
La question des délais de paiement, laissée à l’appréciation des magistrats, devra à notre sens faire l’objet d’une particulière mansuétude de la part des juridictions dans le cadre du traitement des contentieux liés à la crise sanitaire que nous traversons actuellement.
Il s’agit effectivement d’un moyen qui devrait être largement employé par les justiciables et qui ne suppose, de la part des juridictions, d’aucune motivation particulière dans le cadre des décisions.
Attention toutefois, nous ne pouvons donc qu’encourager les justiciables qui produisent de telle demande à présenter un plan d’échelonnement cohérent et réaliste. En effet, la clause résolutoire ne fait l’objet que d’une suspension, laquelle reprend ses pleins effets à compter du premier incident de paiement d’une échéance dans le cadre du délai accordé par le Tribunal.
Là encore, avant d’arriver à de telles extrémités procédurales, nous ne pouvons que conseiller les locataires en difficulté de se rapprocher de leur bailleur pour obtenir, en amont de toute procédure, un accord sur les modalités de règlement du loyer.
Quelques rappels préalables s’imposent.
Le congé est l’acte par lequel l’une des parties à un contrat de bail notifie son intention de mettre un terme à ce contrat pour une date déterminée et à l’issue d’un préavis fixé soit par la loi soit par le contrat.
En matière de baux commerciaux, la durée du bail ne peut être inférieure à 9 années (article L. 145-4 du Code de commerce). Toutefois, quand bien même le bail serait arrivé à terme, il ne prend fin que par l’effet d’un congé ou d’une demande renouvellement du contrat (article L. 145-9 du Code de commerce).
Ainsi, les parties disposent des facultés suivantes :
À défaut de délivrance d’un congé ou d’une demande de renouvellement ayant produit ses pleins effets, le bail commercial se prolonge tacitement au-delà de son terme. Attention, il ne s’agit pas là d’une tacite reconduction puisque le bail prolongé pourra prendre fin par un congé ou par une demande de renouvellement.
Ce bail faisant l’objet d’une tacite prolongation court pour une durée indéterminée. Attention, il existe toutefois une conséquence importante si le bail ainsi prolongé excède une durée totale de 12 années : le loyer est automatiquement déplafonné suivant les dispositions de l’article L. 145-34 du Code de commerce.
Toutefois, contrairement à la situation que nous connaissons s’agissant des baux d’habitation, le congé en matière commerciale revêt une importance moindre puisque si celui-ci n’est pas délivré dans le délai imparti, ses effets sont simplement reportés dans le temps (et non affecté de nullité), sauf en ce qui concerne la faculté de résiliation triennale du locataire.
Ces règles étant rappelées, on peut désormais s’interroger de l’impact des ordonnances prises dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire du Coronavirus.
Plus particulièrement, il convient de s’interroger sur l’effectivité des dispositions des articles 2 et 5 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, portant prorogation de certains délais.
D’autant que ces dispositions ne visent pas particulièrement les baux commerciaux, faisant ainsi douter des solutions applicables. Il faut donc procéder à l’analyse minutieuse des textes et réfléchir notamment par analogie.
Ainsi, et à notre sens, 3 situations doivent être distinguées.
Hypothèse 1 : Le locataire commercial souhaite mettre fin au bail à l’issue de l’une des périodes triennales par la délivrance d’un congé.
Dans cette hypothèse, le congé doit être absolument délivré dans un délai déterminé pour produire ses pleins effets.
Ainsi, si ce congé doit être délivré au cours de la période protégée, il nous semble qu’il peut faire l’objet d’une prorogation des délais de 2 mois après la fin de la période, en application des dispositions de l’article 5 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020.
Or, dans cette hypothèse, il est possible que le congé soit délivré moins de 6 mois avant l’échéance triennale du bail (puisque la date contractuelle ne varie pas).
À l’instar de ce qui se passe pour les baux d’habitation, il nous semble que les effets du congé délivré dans ces conditions devront être reportés, même au-delà de la date de résiliation du contrat de bail (fixé contractuellement), pour respecter le délai de préavis de 6 mois.
Ainsi, le congé devra bien indiquer la date d’échéance triennale en application du contrat de bail ; toutefois le locataire pourrait se maintenir dans les lieux en respectant le préavis de 6 mois à compter de la date de délivrance du congé et le bailleur réclamer le paiement du loyer dû sur cette période.
Attention, cette solution n’est pourtant pas certaine et fait l’objet de certaines discussions, si bien que la situation nous semble soumise à un aléa important.
Aussi il nous semble préférable d’une part de respecter autant que possible les délais impartis (notamment par le recours à l’Huissier, supprimant les délais aléatoires des courriers recommandés en cette période), et d’autre part de tenter d’obtenir un accord de l’autre partie sur les modalités de fin de contrat.
Hypothèse 2 : Les congés et demandes de renouvellement adressés en fin d’échéance du bail.
Il s’agit là des actes qui sont délivrés pour mettre fin au contrat ou pour obtenir, au contraire, le renouvellement du bail pour une nouvelle période de 9 ans au moins.
Or, comme indiqué plus haut, si ces actes ne sont pas accomplis dans les délais précités, ils n’ont pas d’incidence particulière sur le bail, qui fera l’objet d’une tacite prolongation (et non renouvellement ou reconduction, attention).
Ainsi, et tout au plus, le bailleur qui serait empêché de faire délivrer un congé sans offre de renouvellement pendant cette période perdrait éventuellement la possibilité de récupérer le local dans les temps, perdant tout au plus un trimestre outre la période de préavis (au cours duquel le loyer devra en tout état de cause être réglé par le locataire).
Ainsi, et en l’absence de sanction particulière, les dispositions de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 ne nous semblent pas applicables.
Hypothèse 3 : Les demandes de renouvellement en cours de tacite prolongation du contrat de bail.
En cours de tacite prolongation, le locataire commercial peut avoir intérêt à formuler une demande de renouvellement avant que le bail n’atteigne une durée totale de 12 années.
En effet, passé ce délai de 12 ans, le loyer est automatiquement déplafonné, ce qui peut conduire à des hausses significatives de montant, lequel peut être insoutenable pour le locataire commercial.
Il est donc important pour le locataire d’adresser la demande de renouvellement avant d’attendre la date anniversaire des 12 ans du contrat de bail.
La situation peut donc être délicate lorsque le délai expire en cours de période protégée.
Il nous semble que dans cette situation, l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 est applicable car l’acte (la demande renouvellement) doit être délivré dans un certain délai pour éviter « l’application d’un régime particulier » (le déplafonnement), voire d’une « sanction » (en tout cas pour le locataire ...).
Ainsi, le délai pour demander le renouvellement peut faire l’objet d’une prorogation ne pouvant excéder 2 mois suivants la fin de la période juridiquement protégée, soit jusqu’au 24 août 2020.
Attention, il ne s’agit là que d’une interprétation des textes si bien que nous ne pouvons que conseiller les locataires d’effectuer cette demande en temps et en heure pour éviter tout débat sur la question.
Il en va de même s’agissant du droit d’option permettant aux parties de revenir après coup sur une demande de renouvellement acceptée (article L. 145-57 du Code de commerce), puisque l’exercice d’une telle option a pour conséquence de résilier un bail qui avait fait l’objet d’un renouvellement.
Ainsi, les dispositions de l’article 5 de l’ordonnance peuvent proroger le délai d’un mois ouvert pour l’exercice d’un droit d’option par l’article précité.
Il en va de même s’agissant du droit de repentir, permettant au bailleur de revenir sur un refus de renouvellement, puisque l’exercice de ce droit a pour conséquence d’éviter une « sanction » pour le bailleur (le versement d’une indemnité d’éviction), ou conditionne en tout état de cause « l’application d’un régime particulier ».
Là encore, afin d’éviter tout aléa judiciaire s’agissant de l’interprétation sur l’applicabilité de la prorogation de délai dans ces hypothèses, nous ne pouvons qu’inciter les parties à respecter les délais imposés.
Les baux dérogatoires visent les conventions conclues pour une durée maximale de 3 ans et pouvant aboutir à la conclusion d’un bail commercial en cas de maintien du locataire dans les locaux à son expiration (article L. 145-5 du Code de commerce).
Ainsi, une telle situation pourrait s’avérer délicate si le terme contractuel de la convention intervient au cours de la période juridiquement protégée, soit entre le 12 mars et le 24 juin 2020.
En effet, à défaut de manifestations des parties à l’arrivée du terme d’un bail dérogatoire intervenant durant cette période, le bail doit-il se poursuivre conformément aux dispositions du statut des baux commerciaux ?
Il convient alors de se référer aux dispositions de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, et plus particulièrement aux dispositions des articles 2 ou 5, lesquels pourraient être applicables à cette situation.
Toutefois, il nous est d’avis que l’article 5 (prévoyant les hypothèses de résiliation ou de renouvellement de contrat) ne peut être appliqué en l’état, dans la mesure où le bail dérogatoire n’est pas véritablement renouvelé mais plutôt transformé vers un bail commercial classique (avec l’application d’un régime juridique nécessairement différent).
Il faudrait donc davantage envisager l’application des dispositions de l’article 2 de l’ordonnance, laquelle vise les hypothèses de déchéance de droit, ce qui serait le cas puisque l’absence de dénonciation de la convention fait perdre à son titulaire le droit de mettre fin à ce bail dérogatoire au régime particulier.
Ainsi, tout intéressé souhaitant mettre fin à ce bail dérogatoire expirant pendant la période juridiquement protégée pourra le dénoncer dans le délai d’un mois (ou dans le délai imparti par le contrat) à compter du 25 juin 2020 (premier jour suivant la fin de la période juridiquement protégée).
Bien entendu, il ne s’agit là que d’une interprétation des textes en vigueur et nous ne pouvons que conseiller les parties à respecter autant que possible les délais impartis pour éviter tout contentieux sur la question.
© Yoann Delhaye 2024, Création LMC Interactive